MEKTOUB « C’est
écrit »
A
– A comme Aéroport.
Premier verset, première sourate. Notre première histoire. Celle
de Jean-François. Le voici avec ceux et celles qui débarquent en
vrac des sacs et des valises, prêts au voyage, agglutinés à
l'entrée de cette grande casbah moderne. Ils ont tous les
reins ceints, le bâton à la main... Non ! Ça, c'est dans un autre
livre. Reprenons. Ils ont tous des bananes à la ceinture et la
carte d'identité à la main. Des bananes... (vous savez, ces
petits sacs noués à la taille). Tous, sauf Jean-François ! Sa
carte est dans la banane, et la banane est dans le car, et le
car est déjà reparti... Adieu veaux, vaches, cochons, couvée.
Non ! Ça c'est dans la fable. Reprenons. Adieu Tunis, djellaba,
berbère, moutons et plage. Mais c'était écrit : il partirait !
In shâ Allah, disions-nous (Si Dieu le veut). De même
qu'en arabe le sujet suit le verbe, comme est soumis à Dieu tout
homme, de même convenait-il de s'en remettre à la voix qui va
dans les airs et qui suit le car - traduction arabe de GSM :
Grand Sabir pour Monastir ! Ainsi, le car fut stoppé et la carte
d'identité récupérée. Et Jean-François, avec les autres, allait
pouvoir monter au ciel comme Mahomet sur son cheval ailé, Bourak,
qui pour nous s'appelait ici Boeing 727. C'était pourtant sans
compter sur ces voies du Seigneur qui sont impénétrables.
Plusieurs en effet furent envoyés d'une porte d'embarquement à
une autre, de A vers B, d'un numéro à un autre, avec, il est
vrai, des tapis volants, pardon, des tapis roulants... Mais tout
a une fin. A midi vingt, nous nous envolions. « Mesdames et
messieurs, le commandant vous souhaite la bienvenue sur Tunisair.
Éteignez vos GSM et attachez vos ceintures...»
B
– B comme Briks
- on en reparlera - B comme Babouches ou Babioles.
Ce que d’aucuns et d’autres aucunes ont marchandé dans les
souks. Ah ! Les souks ! Les ruelles étroites,
grouillantes, chamarrées, et les femmes voilées de blanc, et les
taches rouges des chéchias, et toutes ces devantures, et
tous ces petits ateliers, et les tapis, les cuivres, le bois
d’olivier, les casseroles, les bijoux, les broderies, tout un
bazar. Aussi fallait-il les voir, ces jeunes, étrangers
étranges parmi les étrangers, et les entendre se faire appeler
« Gazou, gazou » pour les garçons et pour les filles « Gazelle,
ma gazelle », « Entre, viens voir, c’est pas cher... ». Le tout
avec un accent qui sent le sud, la mer qui roule, le soleil et
le sable. Et les « Combien ? » ou les « Non, merci ! », les
« C’est trop cher ! ». Huit dinars ici, quatre là-bas. Et ils
sont quelques-uns à déjà vouloir revendre plus loin et plus cher
ce qu’il venait d’acheter. Et même un culotté qui, réflexion
faite, s’en est allé échanger quelque objet dépareillé. Ah !
Berbère, mon frère, il y a des affaires à ne pas faire avec ces
jeunes-là !
Et il y a même
des aquarelles qu’on n’a pu créer ! Les mauvaises langues vous
diront que c’est parce que notre aquarelliste de service n’avait
pas assez de temps pour croquer ceci ou cela. Que nenni ! Il
remettait sa feuille blanche tout simplement parce que les murs
et les boutiques des médinas (vieilles villes),
l’intérieur des ribats (monastères fortifiés) et le reste
de l’habitat étaient tout blancs ! Alors, comment voulez-vous
aller peindre plus blanc que blanc ?
Mais ici, il y
a des mots pour mettre en couleur cette Tunisie proche et
lointaine, ses moeurs et ses bonheurs. Ses plats et ses
desserts. Plus d’un y a trouvé son plaisir, c’est le cas de le
dire, se croyant en pays de connaissance quand on a appris qu’en
Tunisie aussi on pouvait avoir un - ils disaient déjà une
- brik dans le ventre ! Brik bricolée s’entend, au
thon, à l’oeuf, à la viande, au fromage. Entrée classique que
cette pâte sans levain, pliée et plongée dans la friture. Et
sans doute un Jean ou l’autre, une Monique ou l’autre s’est mis
à rêver en voyant dans la dentelle des bords toute la dextérité
d’une Fatma de là-bas.
C
– C comme Carthage.
Nous avons vu Carthage, ou plutôt ce qu’il en reste... Partis au
lever du soleil - il était 6h00 au petit déjeuner - Carthage et
Tunis nous attendaient, après l’autoroute, après les collines,
sous une pluie presque de chez nous. Unique. Un site pour nous
seuls. Tôt le matin. Et la colonne d’une Carthage reconstruite
après Jésus-Christ, remise debout aujourd’hui, face à la mer,
semblait résonner encore de ce Delenda est Carthago, de
ce Il faut détruire Carthage qui ponctuait tous les
discours proférés à Rome par un Caton l’Ancien au IIe siècle
avant notre ère. Carthage. Festival de ruines, de pierres, vécu
entre les gouttes, à la va-vite, dos à la résidence du président
tunisien, sans aquarelles aussi, car cette fois, elles auraient
été mieux lavées ici qu’en machine !
C comme
Calligraphie, omniprésente, doublet d’une écriture à la
française, avec, des pleins, des points, des déliés, des phrases
ou des mots, droits comme des minarets, souples et ondulés comme
la vague qui recouvre la trace d’un pied sur le sable.
Calligraphie arabe à laquelle une certaine Monique s’est essayée
en allant prendre quelques heures de cours. Comme le héros de
Michel Tournier dans la Goutte d’or, elle a dû se perdre
dans un palais de mirages et penser comme lui que « la
calligraphie est l’algèbre de l’âme »... Elle avait même fini un
soir, dans l’immense hall de l’hôtel majestueux qui nous
logeait, par parler de droite à gauche en prononçant quelques
mots de sa nouvelle langue. Du genre « Sabââh èl hèrr, ahwah,
béd, asir » Essayez de comprendre notre étonnement ! Quelle
était donc cette invitation scabreuse ? « Ahwah, béd, asir » Nous
nous regardions inquiets... Mais rassurez-vous, traduction prise
dans les vrais livres - Anne-Marie ou la soeur Andrée pourraient
en témoigner si on le leur avait demandé - il n’y avait là rien
d’audacieux. Monique voulait simplement dire : « Bonjour, du
café, un oeuf, un jus de fruit » ! Tout un petit déjeuner, quoi
! Et pourtant, elle en remettait... Elle s’était mise en tête de
traduire nos propres noms en arabe. Je vous laisse les penser.
Ce n’était pas triste, mais la décence ne nous permet pas d’en
parler...
D
– D comme Dromadaire.
Ce mardi-là, nous avons vu El Djem et son amphithéâtre romain,
ou plutôt ce qu’il en reste - arrêt photo -, Sfax, ville
importante, industrielle, avec des signaux lumineux, des
voitures, des motos, des vélos, des camions, des ânes aussi et
des chariots, Gabès et Matmata et l’inverse au retour... Huit
cents kilomètres. Nous avons vu une immense plaine d’oliviers.
Le guide disait : « J’ai consulté l’encyclopédie : c’est la plus
grande plantation d‘oliviers au monde.» Pauvre guide, pauvre
homme ! Il peut toujours parler, expliquer... Ils s’endorment.
« Regardez à droite... Et ici à gauche, quelques cubes de terre
cuite, un petit village uniquement habité par des Noirs, car
c’était ici bien avant un rendez-vous de caravanes pour les
marchands d’esclaves... Et là, ce mur en rouge et le mouton
égorgé qui pend devant la porte : on est chez un boucher.» Parle
Tarek, dis-nous encore l’histoire de ces peuples fiers, des
Phéniciens à Ulysse, des Berbères, des Vandales et des Bysantins,
des dynasties Aghlabides et des Fatimides. Raconte. Dis-nous que
tu regrettes de ne pouvoir te marier avec plusieurs femmes.
Murmure, Tarek. Ils sont endormis. Ils sont déjà au paradis
d’Allah. Recroquevillés sur les sièges, bercés par les remous de
ce cordon de goudron qui s’étire et qui n’en finit pas, ils
dorment. Ils récupèrent. Beaucoup ont fait la java hier soir. Et
il était 5h00 quand on les a réveillés.
Vers 13h00,
quand les derniers dormeurs du car ouvrent un oeil, c’est pour
découvrir un paysage lunaire, désertique: ils se croient les
héros de « La guerre des étoiles »... Mais quand ils
voient partout ces cratères, ces entrées de grottes, c’est pour
deviner la présence de familles troglodytes. Et puis, eux aussi,
ils mangeront sous la terre, au fond d’une cour ronde, dans une
de ces habitations transformée en salle de repas, restaurant de
circonstance avec couscous et fruits, dans cette sorte
d’hôtel aux chambres nuptiales rudimentaires, que certains et
certaines dont nous tairons les noms sont allés voir. Et
surtout, pour bien digérer le tout, ils s’en iront, à dos de
dromadaire et par deux, en caravane, secoués et haut perchés,
vers quelque contrefort du djebel. Photos. Cris et rires.
Déhanchements. Et une certaine Monique à pied, chamelière parmi
les chameliers. C’est vrai, souvenez-vous, c’est elle qui parle
déjà un peu arabe... Et au fond d’elle-même, elle se met à
penser sous le soleil tunisien : «Après tout, ce ne serait pas
si mal d’être dromadaire, ce n’est pas si bête, puisque que
c’est un chameau qui ne bosse qu’à mi temps !»
E
- E comme Épices.
Il y en a sur les marchés, dans les souks, au fond des
arrière-boutiques. Et sur la table de ce restaurant de
circonstance à Matmata, une pleine assiette rouge, appétissante,
à côté de rondelles de pain. L’histoire est courte. Jacqueline
tartine une pleine tranche et la mange... Essayez, vous, de
manger comme ça, à pleines dents, la fameuse harissa,
cette sauce du diable, rouge comme le feu de l’enfer, avec des
piments pilés, de l’ail et d’autres épices du lieu. Encore un
peu, et elle parlait arabe, elle aussi, notre Jacqueline, mais
plus vite que Monique et en tirant la langue, sans doute...
F-G-H
- H comme Hôtel,
celui qu’on a eu et celui qu’on aurait dû avoir et qu’on
aménageait encore... Après l’aéroport, c’était là notre deuxième
surprise. Heureuse, il est vrai. Avec un Hammam, ses
bains, ses étuves, ses vapeurs à l’orientale que certaines ont
essayés en compagnie de Jacqueline, heureuse comme dans un
harem.
H comme
Horloge, aussi. Giovanni les remarquait partout, au centre
des places, sur une esplanade... Il s’arrêtait même de chanter
en berbère pour y lire l’heure qui n’était pas à l’heure. Mais,
comme nous le lui avions expliqué, c’était pourtant simple:
là-bas, les horloges marchent à pile, et la bonne heure, elle
est du côté face ! Là-dessus, Giovanni, ragaillardi,
encourageait, de sa voix mielleuse, le chauffeur qui flânait à
regagner le temps perdu afin d’être à l’heure pour le repas à
l’hôtel... Ce qu’il ne savait pas, Giovanni, c’est que, cette
fois-là, il laisserait sur la table presque toute son assiette
de spaghettis refroidis...
I-J-K
- Avec K
comme Kairouan, ancienne capitale, et la visite d’un atelier
de tapis, avec le thé à la menthe, offert par la maison et les
tapis qu’on déroule, qu’on lance et qu’on finit par acheter,
peut-être...
L
- La liste des joies et des peines du voyage serait
longue: un deuil, une béquille, des jeux, des danses, des
pleurs, de la musique, du défoulement, des fatigues, des fous
rires et des coups de folie. La vie, de a à z, était là, avec
nous.
M
- M comme Méditerranée, Monastir, Mahdia, médinas (vieilles
villes), mosquées et musées.
Que de pas n’avons-nous pas faits en ton nom, que de pèlerinages
n’avons-nous pas accomplis en ton sein, pour te voir, te revoir,
te contempler, Antiquité ! Musée de Carthage, à l’ombre des
cyprès et des eucalyptus, et sur le côté, sans anachronisme,
l’ancienne cathédrale Saint-Louis. Musée du Bardo à Tunis, avec
de fabuleuses collections de mosaïques romaines, immenses,
orgueilleuses, impudiques, agrestes ou navales; musée dans un
palais des mille et une nuits. Mosquées. Celle du barbier,
petite merveille à Kairouan. Ce barbier, Sidi Sahab, compagnon
de Mahomet gardait, dit la légende, trois poils de la barbe du
Prophète. Et nous, là-bas, nous en connaissons plus d’un qui, ce
jour-là, se voilait le menton... Mosquée des Trois portes à
Kairouan encore, ville sainte, sanctuaire de l’islam. Que de
dévotions! Bien après le coucher du soleil du dernier soir de
notre trop bref séjour, en souvenir ou par imitation - mais
avaient-ils bien vu ? -, il y en a même qui se sont roulés dans
les tapis de l’hôtel... alors qu’il suffisait de s’agenouiller
sur ces tapis pour une prière par terre... qu’on entendait dans
tout l’hôtel…
N
- N comme Nage ou Natation.
Juste une expression en passant... Quand un sieur de nos
connaissances a vu nager dans la piscine bleue l’aquarelliste-architecte,
il n’a pu s’empêcher de créer cette jolie périphrase, cette
circonlocution audacieuse que voici : «faire deux fois le tour
du bocal»... A charge de démonstration, il est vrai que ce
Jean-là faisait des ronds dans l’eau...
O
- O comme Oasis
et les calèches, celles de Gabès...
P
- P comme Plage, comme Parachute ascensionnel,
ou plutôt sensationnel. Trois pas sur la plage, un fil, un voile
et la mer au large, le vent et puis... se dire qu’il faut
descendre, descendre encore et se poser. On en est quitte pour
un petit coup de coeur avant, un petit coup au coeur après...
Q-R-S-T
- T comme Tir à l’arc. Ah ! Michel ! Eux, ils jouaient au
foot, et nous, nous nous exercions. T’en souvient-il de ces
flèches décochées, de ces cibles multicolores, des panneaux
transpercés, des traits plantés dans l’herbe, qui faisaient
mouche ou qui écorchaient les poteaux ? De quoi, comme dit le
proverbe, faire flèche de tout bois ? D’ailleurs n’y avait-il
pas là, dans l’herbe, une spectatrice encourageante et charmante
au demeurant ?
U-V-W-X-Y-Z
- Avec un V comme Vin, Voyage ou autre Vagabondage. Ils
sont nombreux ceux et celles qui vont garder de cette escapade
en Tunisie un souvenir chaleureux. Il en est comme Madame
Christiane qui prendront encore longtemps des eaux pour des
alcools de boukhas ou l’inverse, on ne sait plus trop
bien ; qui fumeront le narguilé sous les arabesques d’un café
maure perdu au bord d’une route aussi normalement que si elle
avait toujours vogué dans ces volutes de fumée africaines. Il en
est d’autres, jeunes ou vieux, qui continueront simplement de
rêver de ces soirs qui se lèvent tôt et de ces couchers de
soleil qui donnent à penser que la Tunisie est le pays proche.
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