Prologue.
Le choeur. - Rome. Une ville
à feuilleter. Une ville à lire ouverte. Ville, Roma, Rome, je te
décline en mélangeant le singulier et le pluriel, le goût et le
jour, l’hier et l’aujourd’hui. Foule. Bruits. Soleil. Églises.
Marbre. Monuments. Fresques. Musées. Via. Piazza. Jeux. Jardins.
Acqua. Fontaines. Temples. Mosaïques. Fumets. Couleurs. Caffè.
Promenades. Dorures. Sculptures. Colisée. Panthéon. Dieux.
Déesses. Rigatoni et vino... Lingua romana antiqua. Ma non
parlo italiano !
Scène 1.
Le choeur. - Un petit matin
de février, un petit déjeuner dans l’avion d’Alitalia, une vue
superbe sur le lac Majeur, une courte escale milanaise, et voici
Rome. Rien que pour toi. Elle et toi. Un mariage pour quatre
jours et trois nuits avec les cloches des petits matins fatigués
de sommeil, des cortèges de visites et des rencontres au passé
recomposé.
Louis. - Et des histoires
aussi qu’on se raconte au présent, pour le sourire et pour le
souvenir. Celle des courses d’autocars, ces chars modernes, à
travers rues, venelles et places qui servent de Circus Maximus.
Le temps d’un Ave Caesar, qui morituri te salutant, voici
le coup de frein, le feu rouge qu’on brûle, les passe-droits,
les lignes blanches franchies et le corps déporté lors d’un
virage audacieux ! Les oh! et les ah! Mais qu’on se rassure,
Rome est désormais plus disciplinée: Monique, avec ses gants de
laine blanche et ses gestes péremptoires de naïveté, arrête
toute circulation, sourit, laisse passer l’un, fait circuler
l’autre, en bon ordre déjà. C’est juré, ils sont rééduqués, ces
Romains !
Le choeur. - Premières
visites. Les basiliques et les catacombes de Saint Domitile.
La guide. - Suivez-moi.
Restez groupés. Sainte-Marie-Majeure est l’une des quatre
basiliques patriarcales, avec Saint-Jean-de-Latran que nous
visiterons et Saint-Pierre que vous verrez demain. Construite au
IVe siècle par le pape Liberius, sur ce mont Esquilin, sur
l’emplacement d’un temple romain dédié à Junon, l’église fut
démolie et reconstruite un siècle plus tard par le pape Sixtus
troisième. Remarquez les mosaïques, et au-dessus des quarante
colonnes ioniques, la fresque qui présente des scènes de
l’Ancien Testament. Regardez le plafond à caissons de la
Renaissance. Avancez. Sous le maître-autel, des fragments de
bois de la vraie crèche, rapportés de terre sainte par sainte
Hélène, la mère di Constantini.
Le choeur. - Ainsi parle la
guide. Elle parlera ainsi à Saint-Jean-de-Latran, du palais du
Latran où les papes ont vécu mille ans avant leur exil en
Avignon. Elle parlera aussi avec son accent chantant, roulant
les r et insistant à souhait sur les i, des apôtres, dans la
nef, sculptés par les élèves de Bernini, de la famille Baromini
qui a transformé l’église aux mille sept ans années après
Jésus-Christi. Et des portes de bronze prises à la Curie
romaine. Et en sortant, en face, sur un coin, de la Scala Santa,
rapportée de Jérusalem par sainte Hélène, escaliers de Ponce
Pilate que Jésus-Christi aurait monté et qu’on gravit ici à
genoux, vingt-huit marches. Écoutez la guide.
La guide. - Hier, mesdames,
messieurs, je suis avec un autre groupe. Une dame - je dis
toujours: « Ne montez pas, on n’a pas le temps. » - une dame du
groupe monte les escaliers à genoux et crie : « Madona ! Je vois
la Vierge ! », alors tout le monde s’est mis à monter la scala...
Mesdames et Messieurs, je vous remercie. Entrez dans le car.
Vous verrez à votre droite... »
Le choeur. - Le voyage se
poursuit. Ici l’ancienne Via Appia. La chapelle Domine Quo
Vadis, rappelant l’endroit où saint Pierre, fuyant les
persécutions de Néron aurait rencontré le Christ. « Où vas-tu
Seigneur ? - Je vais à Rome pour y être recrucifié. » Un temps.
Descente du car. Catacombes. Le guide est un bon Père, gros et
rond à souhait, d’origine juive, accent allemand, habitant
l’Italie, et parlant de la gorge une française difficile
à comprendre. Étroits passages sous terre dans le tuf, niches
funéraires, peintures naïves des premiers chrétiens. Pas de
photo. Merci. Uscita, sortie. Hôtel. Repas.
Scène 2.
Le choeur. - Et puis le
Métro. Les billets avalés ou non imprimés, les voyages en fraude
pour plus d’un, les escaliers, les cavalcades parce qu’on se
trompe de voie. Et avant cela, les incertitudes, les pas perdus.
Où vend-on les billets ? C’est dimanche. Le ciel est bleu quand
on débouche face au Colisée à visiter. Le soleil chauffe, entre
Forum et ville piétonne. Il est onze heures et Jacques n’est pas
encore perdu. Tout le monde est là ? Les plus de soixante ans,
les étudiantes et les autres. Et d’autres qu’on croise ici et
là, partis presque aux aurores, comme Dominique, pour tout voir,
tout pouvoir... (Ce soleil-ci serait-il pour lui, comme
ailleurs, une de ces chaudières à surveiller... ?) Voici déjà
l’austère Curie où certains font figure de sénateurs, comme
Philippe, en chemise, costume, cravate. Et là, le temple de
Vesta. Combien sont-elles celles qui se sont mis à rêver d’avoir
le feu sacré et d’être ici prêtresses, pour trente ans ?
Ailleurs, des résurgences: des César, des Cicéron, des Catilina,
des harangues, des lois, les bruits des armées, des esclaves,
des trésors rapportés, l’arc de triomphe, les applaudissements
du peuple. Et Jacques, loin devant, qui descend le mont Palatin,
berceau légendaire de Rome, Jacques qui croit le cortège devant
lui et qui sort du Forum et qui s’en va ainsi seul jusqu’au
soir.
Jacques. - Je pars. Je vais
voir si l’allée qui descend et qui serpente à flanc de colline
mène bien à la sortie. Je vous vois derrière moi et vous prenez
un escalier de traverse. Je me dis que vous sortez avant moi et,
ne voyant personne, je sors...
Le choeur. - Mais le défilé
est long, Jacques. Les pieds souffrent. La procession s’étire.
La procession s’arrête. Pour quelques commodités. Et tu es déjà
au Colisée. Tu prends le métro. Tu rentres à l’hôtel. Tu visites
le quartier de la gare. Mais ce voyage-là, tu vois, Jacques, ni
Bernadette ni aucun de nous, ne l’ont mis au programme pour
cette après-midi de soleil. Ce n’est rien, tu as regardé là-bas
le temps présent quand nous l’avons mis, ailleurs, au passé
décomposé.
Un touriste. - Nous avons
parcouru de la colonne de Trajan à la Piazza Navona, du Panthéon
à la fontaine de Trevi, nous avons parcouru des siècles
d’histoire, de pierre, de marbre. Un carnaval pour les yeux. Une
fête dans le coeur.
Scène 3.
Le choeur. - Le Vatican.
Métro, ligne A. Une rame bondée. On laisse passer. Une autre
rame.
Un touriste. - C’est celle-là
? Madame Flora ?
Madame Flora. - Non, ne la
prenez pas.
Georges. - Allez-y.
Madame Flora. - Si.
Le choeur. - Ah! Il n’est
pas facile d’être italienne à Rome !
Une voix intérieure, celle
d’Astérix. - Ils sont fous ces Romains. Tous les chemins mènent
à Rome !
Le choeur. - Une longue file
défile le long des murailles du Vatican. Ciel nuageux. Temps
gris. Quelques échoppes de marchands. Des cravates. Des cravates
encore. Des cravates pour Gérald. Et un coin de rue. Et
l’inimaginable file d’attente sur des centaines de mètres. Et
des langues se délient comme en Pentecôte. Toutes les langues se
parlent et se croisent ici. Mais à vrai dire, il semble que la
dernière arrivée soit le japonais ! Voici l’entrée maintenant, et
un immense escalier à vis. Il faut payer. Tout le monde paie,
les plus de soixante, les moins de vingt. Tout le monde, sans
exception. Vous saurez plus tard, voyageurs, que tout le monde
doit payer pour voir l’enfer. L’enfer, ce n’est pas les autres,
ce sont les autres aux musées du Vatican !
Une voix. - Dis, qu’as-tu vu
?
Une autre voix. - J’ai vu,
j’ai vu la foule dense, immense, compacte. J’ai vu, j’ai vu le
sur-place. J’ai vu.
La première voix. - Dis,
qu’as-tu vu ?
L’autre voix. - J’ai vu la
chaleur. J’ai vu les kilomètres de galeries, les salles, les
petites, les grandes, les gardes, les cordons, la foule qui se
presse, qui se dresse pour voir.
La première voix. - Dis-moi,
qu’as-tu vu encore ?
L’autre voix. - Par des
fenêtres, des bouts de jardin, des petites cours intérieures.
Des portes étroites, des dorures, des sculptures, des bains de
foule, des ...
La première voix. - Oui, mais
dis-moi, qu’as-tu vu ?
L’autre voix. - Dans le
désordre, un musée étrusque, les chambres de Raphaël (que le
pape Jules II engage à 26 ans en 1506 pour décorer ses pièces),
les appartements Borgia, les robes ecclésiastiques, des
tapisseries (dessinées ici pour des réalisations flamandes), des
cartes et des portraits, des vitrines et des évangiles et la
chapelle sixtine.
Le choeur. - La chapelle du
XVe siècle, peinte par Michel-Ange, avec des fresques de
Botticelli, une voûte qui retrace l’histoire de l’homme. Mais
tes jambes, voyageurs, savent déjà toute l’histoire du monde...
Et il y aura encore la visite
de la place Saint-Pierre, de la basilique du même nom. Et encore
Bernini. Et encore Michel-Ange. Et les portes fermées: vos
péchés ne seront pas remis.
scène 4.
Le Choeur. - Sans le savoir,
pour certains, ils ont fait le Corso, créé au XVe siècle pour
des courses de chevaux au carnaval, aujourd’hui artère gorgée de
monde, de palais et d’églises. Corso, de la
piazza Venezia à la piazza del Popolo. Ailleurs, sans y
entrer, ils ont vu les thermes de Caracalla. Ils ont voyagé. Ils
ont vu Rome, ville éternelle. Ils ont vu Rome, ville solennelle.
Ils ont lu Rome, comme une BD.
Un témoin. - Ils ont pris les
moeurs d’une certaine Rome. Comme Christianne qui, en bonne
forme, marque son mari au trait rouge. Comme Claude qui,
peut-être parce qu’il a bien observé les vendeurs à la sauvette,
essaye de refiler à quelque innocent un vieux billet de banque
sans cours ni monnaie. Comme son fils qui attend sa valise qui
préfère Milan à Rome. Comme Xavier qui, renouant avec les
traditions antiques et ancestrales, joue « à la tuile
italienne », sorte de roulette russe où le jeu consiste à éviter
la tuile envolée qui ne peut s’abattre sur la tête du malheureux
passant. Comme Jacqueline et comme bien d’autres qui jettent la
pièce, dos à la fontaine, de la main droite par dessus l’épaule
gauche... Comme Valérie qui voulait laisser un cadeau pour
Rome: son pyjama ! Mais qu’aurait dit Nicolas ?
Un autre. - Ils ont dévalisé
Rome, ses magasins, les soldes, les boutiques, qui des
chaussures, qui des vêtements, qui des alcools. Ils ont sacrifié
aux dieux argent leurs modestes économies.
Une voix. - Qu’avez-vous été
faire à Rome, ce week-end ?
L’autre. - Ce week-end, ma
chère, nous avons été faire les soldes à Rome. C’était...
Le choeur. - Mais voilà.
Acta est fabula: la pièce est jouée. Ils vont rentrer chez
eux. Reprendre la vie de tous les jours, avec, pour mémoire, une
ville à décliner en langue française, à l’endroit et à l’envers.
Foule. Bruits. Soleil. Eglises. Marbre. Monuments. Fresques.
Musées. Rues et avenues. Places. Jeux. Jardins. Eau des
fontaines. Temples antiques. Mosaïques. Fumets. Couleurs. Cafés.
Promenades. Dorures. Sculptures. Colisée. Panthéon. Vatican.
Dieux. Déesses. Vins et desserts compris.
Vingt-deux heures quinze.
Neige. L’avion d’Alitalia en provenance de Rome atterrit à
Bruxelles National.
Ouverture du rideau.
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