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La grammaire des si
Une
grammaire conforme ou une grammaire qu'on forme ?
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Christian CHERDON |
Article paru dans la revue FRANÇAIS 2000 de l'ABPF |
« Que faire pour harmoniser le passage du primaire au secondaire quand on enseigne le français ? » Telle était la question proposée. Et à la réflexion, puisque, de prime abord, primaire et secondaire riment avec grammaire, pourquoi ne pas imaginer s’interroger autrement : « Que faire pour harmoniser le passage du primaire au secondaire quand on enseigne la grammaire ? » Ou encore : « De la grammaire, pour que faire ? » Sans dérobade ni fanfaronnade, pour des réponses qui sont inévitablement délicates et complexes, on pourrait présenter, un peu à la manière de Cyrano, une « grammaire des si » - à ne pas chercher en librairie, puisqu’elle n’existe pas et qu’elle n’est ici qu’ébauchée…
Hypothèse : S’il ne doit rester qu’un cours de
français, ce doit être bien sûr le cours de grammaire ! Et puis, pour rester dans cette harmonie - mot dont le dictionnaire nous dit qu’il s’agit d’une « succession de sons agréables », mais aussi que « les parties d’un tout concourent à un même effet d’ensemble » (Robert) -, pourquoi dans cette « grammaire des si » ne pas s’essayer à un cocktail de mots diatonique ?
Si Bruxelles cessait d’être en capitales, la
grammaire serait-elle dans tous ses états ?
À la lecture de ces derniers exemples, on serait sans doute tenté d’être satisfait. Rassuré d’avoir fait de la grammaire, d’avoir dissocié la grammaire du texte et d’avoir clairement séparé la langue des grammaires de la langue des enfants ! À l’inverse, on aurait sans doute pu s’occuper des phrases produites tous les jours : Les blessés ont été transportés à l’hôpital le plus proche. Je téléphonerais bien à Tante Éliane. Etc. Et si, pour poursuivre l’investigation dans cette « grammaire des si », le vrai problème qui concerne la grammaire dans la liaison primaire-secondaire résidait dans « Une grammaire conforme ou une grammaire qu’on forme » ? L’une serait conforme aux programmes, conforme aux attentes des parents et des maîtres, conforme aux données scientifiques, aux préoccupations pédagogiques. L’autre ferait état d’un travail sur la langue, objet d’observation, et d’un travail de réflexion, d’un savoir à construire, se rappelant que tout savoir est un ensemble ordonné de notions, d’explications, elles-mêmes bien présentées pour permettre une bonne assimilation. Il y aurait donc beaucoup à dire sur ce qui fait la grammaire et les tâches à accomplir et les progressions à établir. Et aussi sur les enjeux et les compétences attendues, sachant qu’il s’agit le plus souvent d’une grammaire de l’écrit, qu’écrire pour prendre quelques notes ou qu’écrire pour produire ou pour réfléchir sont des actes différents, que la mise en texte suppose un accompagnement par étapes, etc. Apparemment, les quelques étapes (re)connues par certains parents semblent n'être qu’orthographe et conjugaison. Toutes deux apparaissent un peu comme les grandes dames de la famille grammaire. Pour d'autres, ailleurs, leur grammaire se confond encore entre autres avec les seuls sacro-saints accords où trône, superbe, l’accord des participes passés. Ainsi, des listes de mots et d'étiquettes, des verbes à conjuguer, des règles d’accords complexes seraient du tangible, du consistant, du sérieux, oserait-on dire « de la matière » ! Loin de rejeter ces approches, qui pourraient autrement trouver leur juste espace, on serait en droit de se demander si, en agissant de la sorte, on met vraiment en place cohérence, rigueur et réflexion nécessaires. Et l'on aurait également raison de se demander si c'est comme cela que l'on en vient à donner aux enfants ce goût de l'observation pour «les choses de la langue» et les sortir peut-être des cercles vicieux des rejets, des manques ou de certaines difficultés dans le vécu du passage du primaire au secondaire. Apparemment, les programmes de cours reprennent les éléments grammaticaux qui doivent faire l’objet d’un enseignement. On les trouve même sur fond gris marbré sur Internet, fenêtre magique qu’il suffit d’interroger. Mais si l’on y découvre bien la classe des adjectifs, par exemple, l’adjectif qualificatif, lui, est introuvable. Il est tombé au champ d’honneur du code de terminologie de 1986, et un seul mot le rappelle à notre souvenir en le nommant adjectif. Ne serait-ce pas de là que proviendrait la confusion ou l'amalgame rapide entre adjectif et épithète et, partant, la confusion souvent présente entre nature et fonction ? Qu’à cela ne tienne, ce qui n’est pas « fait » dans le primaire sera « fait » dans le secondaire, se dit-on… Mais on oublie que les attentes peuvent devenir des résidences. Apparemment, on oublie aussi parfois que les élèves qui entrent dans le secondaire ont derrière eux bien des heures de vol, et autant de décollages et d'atterrissages grammaticaux, que les programmes font état des mêmes éléments, qu'il s'agisse de règles, de classements ou de ponctuation... Et donc, à la jonction du secondaire et du primaire, ne pourrait-on se placer simplement sur le terrain de l’écriture et de la lecture pour reposer les problèmes, apprendre à les résoudre et parvenir à fabriquer une grammaire? Et donc, ne pourrait-on pas profiter de ces moments privilégiés pour découvrir et utiliser à bon escient d’autres manières qui, autrement pour certains, risqueraient de rester à tout jamais dans l’ombre. Ainsi en va-t-il des moyens de faire (ré)agir quelqu’un, d’attirer l’attention sur une information ou de gommer des données en utilisant le passif ou en déplaçant un groupe, par exemple…
Et enfin, pour reprendre
le cours de la « grammaire des si », ne faudrait-il pas se dire
que, pour « faire de la grammaire », c’est-à-dire pour apprendre à
se représenter la réalité, si l’on a un livre de grammaire à
disposition (plutôt qu’une suite de feuillets «photocopillés» à la
diable !), ce n’est pas pour l’ouvrir comme n’importe quel manuel.
Il est, en effet, à la fois un ouvrage attendu et inattendu. Un
document attendu certainement par les maîtres et, dans certains
cas, par les parents. Mais aussi un livre inattendu qu’il faut
apprivoiser – un peu à la manière du petit Prince qui apprend que
l’on n’aime bien que ce qu’on apprivoise, que c'est le temps qu'on
a perdu pour la grammaire qui rend cette grammaire si importante !
Un livre en somme pour apprendre la recherche et la rigueur, pour
démonter un problème et échafauder une solution. Un livre pour
éveiller la curiosité sur la langue, dont on saura plus tard
qu'elle est témoignage d’une époque et d'un cadre théorique. Un
livre pour permettre de se créer ses besoins de grammaire, en
apprenant que ce qui serait agrammatical d’un côté le serait moins
ailleurs, que, s’il devait y avoir un standard de l’écrit, il n’y
en aurait sans doute pas de la même façon à l’oral. Les « Y a pas
photo » éveillent la curiosité sur la langue, sur sa grammaire. Et
c'est ainsi que finalement, du primaire au secondaire, si on met la
grammaire au service de la langue, c’est pour que les gens de
demain arrivent petit à petit à mieux se dire, à mieux se
structurer et aller vers les autres. Et alors, en enlevant le
potentiel de départ, on dirait certainement : on en re-ferait de
la grammaire ! |